Une « Camera Obscura » virtuelle



         Etymologiquement, le mot photographie signifie « peindre avec la lumière » pour bien montrer la place prépondérante de la lumière, cette dernière en a également une très importante dans le jeu vidéo. En effet, comme dans le monde réel, c’est par elle que l’on pose une ambiance, tout comme les volumes. Et comme dans la photographie traditionnelle, le screenshot se doit de la prendre en compte et d’y être attentif. Lorsque l’on fait une photographie avec un appareil photo numérique, les photosites réagissent à la lumière. Le courant électrique ainsi créé est transformé pour former un fichier JPEG (ou RAW) stocké sur la carte mémoire. On pourra par la suite mettre ce fichier sur un ordinateur et éventuellement revenir dessus pour le modifier avec différents logiciels spécifiques. De la même manière lorsque l’on veut faire un screenshot, le logiciel du jeu vidéo traduit les différentes lignes de code qui permettent de reconstruire les graphismes. Appuyer sur la touche impécr permet d’enregistrer ces informations dans l’ordinateur pour générer un fichier JPEG à un endroit précis, fichier que l’on pourra ensuite choisir de modifier avec les mêmes logiciels que pour une photographie classique. Le procédé est, en fin de compte, très similaire dans les deux cas.

       Depuis l’avènement de la 3D dans les années 90, les jeux n’ont eu de cesse d’être de plus en plus réalistes. Pour parvenir à de tels niveaux, les game designers ont fait appel à des effets « réalistes » qu’ils transposent dans leurs mondes virtuels. Mais plutôt que de s’inspirer de la vision humaine, ils ont pris le parti de s’inspirer d’effets optiques que l’on retrouve en particulier en photographie. En effet, les performances des processeurs étant encore trop limitées, imiter un appareil photo s’est révélé être le meilleur compromis. Le jeu devient donc ce qui pourrait être appelé une camera obscura virtuelle. Parmi les nombreux effets utilisés, le plus courant et le plus visible est le lens flare - tous les jeux ou presque l’utilisent. Plus ou moins bien réussi dans les années 90, il est aujourd’hui beaucoup plus travaillé, même s’il manque parfois de subtilité. On pourra également relever la présence, plus discrète, d’aberrations chromatiques. Ces deux effets sont particulièrement révélateurs de cette démarche : simuler une optique comportant plusieurs groupes de lentilles. En photographie, il est normal d’avoir affaire à ces déformations puisqu’ils résultent de la diffraction de la lumière à travers les différentes lentilles de l’objectif. Or, dans un jeu vidéo, il n’y a absolument pas de lentilles, juste un programme rempli de lignes de code. Ce qui, en photographie, sont des défauts, est fortement recherché dans le game design puisqu’ils font même l’objet d’une option à part entière qu’il est possible de désactiver (excepté pour le lens flare). 

       Parfois, on peut même retrouver des effets du temps de l’argentique : le grain. C’est notamment le cas dans le jeu Left 4 Dead (Valve, 2008) dans lequel il s’agit d’une option graphique que l’on peut choisir d’activer et de doser à son goût. Certains jeux se risquent même à intégrer de la profondeur de champ. Cette pratique est plutôt marginale car très contraignante au niveau du gameplay, mais on peut la remarquer dans Batman: Arkham City (Warner Bros Games, 2011). Par ailleurs, quand on zoome avec le personnage en se focalisant sur un objet, on pourra noter que cette profondeur de champ se réduit encore un peu plus, comme si nous utilisions un téléobjectif. Dans d’autres jeux, comme Fallout 4 (Bethesda, 2015), cette option est disponible sous forme de mod[1]

       La caméra a donc une importance prépondérante dans le jeu vidéo car c’est elle qui met en place une grande partie du gameplay. Elle permet également au joueur de mieux s’immerger dans cet univers, de se l’approprier, et ce, plus particulièrement dans les FPS. Néanmoins, l’utilisation des effets photographiques mentionnés plus haut est de plus en plus considérée comme abusive par les joueurs qui clament que leurs yeux ne sont pas des caméras. En effet, ces artifices étaient justifiés dans les années 90 mais depuis les grands progrès de la 3D et des performances des ordinateurs, nul besoin d’y recourir pour simuler un prétendu réalisme.

       Si l’on retrouve de nombreux points communs entre les effets d’un appareil photo et ceux de la caméra d’un jeu vidéo, certains jeux en ont fait une part essentielle de leur gameplay. Les deux exemples les plus connus sont Pokémon Snap (Nintendo, 1999) et Dead Rising (Capcom, 2006, 2011 et 2017). Dans le premier, qui est un FPS, le joueur incarne un élève du fameux professeur Chen embarqué dans un safari Pokémon. Le but est donc de prendre en photo le plus de Pokémons possible. Le score est calculé par rapport à la qualité des clichés : nombre de Pokémons présents, leur pose, s’ils sont bien dans le cadre etc. Dans Dead Rising 1 (2006), Dead Rising 2: Off the Record  (2011) et Dead Rising 4 (2017) le joueur incarne Frank West, un photojournaliste en mal de reconnaissance. A la différence de Pokémon Snap, celui-ci est un TPS destiné à un public de plus de 18 ans. Dans le premier opus, Frank West arrive dans une ville du Colorado placée en quarantaine pour cause d’invasion de zombies. Même si le but principal de cet opus (et des suivants) est de tuer le plus de zombies tout en survivant, la photographie y occupe une place importante. En effet, le personnage ne se déplace jamais sans son appareil et est à la recherche de la photo scoop. Ainsi, prendre des photos fait gagner plus ou moins de « PPs » (Points Photo) qui permettront par la suite de franchir les niveaux et d’accéder à plus d’équipements. 

       D’autres jeux comme GTA 5 (Rockstar Games, 2015) offrent un module simplifié pour prendre des photos dans le jeu. A la différence par exemple de Mad Max (Avalanche Studios et Warner Bros, 2015), il suffit dans GTA 5 de sortir son téléphone portable puis de partager sa photo sur le réseau social dédié au jeu. L’appareil photo (ou le téléphone portable) est tenu directement par le personnage pendant que les actions continuent. Ceci a pour effet d’intégrer la photographie et le geste photographique directement dans le gameplay en faisant un élément (et un geste) à part entière du jeu. Ce n’est pas le cas dans Mad Max puisque dans celui-ci, le module pour faire des screenshot, même s’il est intégré au jeu, reste extérieur à l’action et au personnage. 

       A noter que des jeux tels que GTA 5 et Dead Rising 4 permettent aussi de faire des selfies. Au-delà de l’aspect ludique, ces jeux montrent qu’ils ont su prendre en compte cette « mode photographique ».



[1] Abréviation pour « modification »